traduit de l'Allemand par Didier Simon
L'histoire se déroule une vingtaine d'année avant la parution de cette article, soit dans la première décennie du 20ème siècle. L'auteur introduit son article dans un style plein d'envolées lyriques, style très en vogue chez les auteurs germanophones de l'époque :
Invité à dîner chez un ami Maître d'école d'un village du Pays de Hanau (Nord de Strasbourg), il perçoit, par la fenêtre ouverte, les relents éloignés d'un bal et interroge son hôte à ce sujet.
… " Je voulais justement vous en faire la surprise ", dit-il ; et je vis son visage éclairé par un rayon de lune, animé d'un grand sourire. " Aujourd'hui c'est le Messti (1), comme vous savez… Mais suivez-moi plutôt. Je ne veux rien vous révéler par avance. "
Nous marchions le long des rues tranquilles du village, sur lesquelles la lune jetait des ombres crues. Des sons au rythme des plus singulier se rapprochaient, jusqu'à ce que nous arrivions devant un café d'où s'échappait l'étrange mélodie. C'était une antique musique de danse alsacienne d'un vigoureux caractère populaire. Nous entrâmes. Une immense salle de bal, décorée de guirlandes de branches de sapin et de roses en papier. De jeunes paysans en gilet rouge et de jeunes paysannes dont flottaient les grands nœuds colorés des coiffes, se laissaient bercer par la danse. " Danse-t-on la polonaise ? " demandé-je quelque peu étonné. " Ce jeu s'intitule la danse de la bougie ", me signifia mon ami. Un long cortège de couples se déplaçait en dansant devant la tribune des musiciens, où, du plafond, pendait un fil auquel était accroché une bougie. Tout l'intérêt des participants ce concentrait sur elle. Et voyez ! Un large tesson de verre y est collé. Une fois la bougie brûlée, le tesson tombe à terre…Le couple qui danse à proximité de la bougie, tient un bouquet de romarin dans ses mains, qu'il passe, une fois la bougie dépassée, au couple suivant. Tous glissent sur la pointe des pieds en retenant leur souffle, tous les regards étincelants se fixent sur la flamme mourante ! Et soudain, un bruit de verre ; le tesson est tombé ! Et tous d'entourer en plaisantant, le couple qui à cet instant précis tenait à la main le bouquet de romarin. Ainsi que me le dit mon ami, ce couple a gagné ; tout les ans, le dimanche du Messti, vers minuit, le cafetier met un lot en jeu lors du bal. Toute la jeunesse du village y prend part, car le lot est d'importance. Le cafetier est riche ; il ne s'en sortira pas à moins d'un demi cochon ou d'une paire d'oies.
Une fois le couple gagnant convenablement félicité, il lui faudra payer la tournée générale. Là-dessus commence une nouvelle danse. Au milieu de la piste de danse, est posé un précieux mouchoir à dentelles, puis garçons et filles fredonnent une nouvelle mélodie, accompagnés par le bourdon (2), les violons et clarinettes. Le curieux cortège des danseurs se remet en marche, cette fois ci, en passant devant le mouchoir à dentelles. Le brave cafetier se place près des musiciens, les manches de sa chemise blanche retroussées, sous son gilet rouge et tournant son large dos aux danseurs. Soudain, il tend son bras, et se retourne. La musique s'arrête et tous restent immobiles. Solennellement, comme un prêtre, il traverse le cortège, ramasse le mouchoir et l'offre au couple gagnant dont les yeux, comme un rayon de soleil, brillent de plaisir. Tous se rapprochent et murmurent : " Quel beau mouchoir ! " et tiennent visiblement les heureux gagnant en grande estime. " C'est un grand honneur que de gagner le mouchoir ", m'expliqua mon ami. " La fiancée le conservera consciencieusement dans son armoire. Et quand elle se mariera, elle lui trouvera une utilisation à une place d'honneur, ou bien, selon la coutume de l'endroit, il sera placé près du crucifix, sous la pendule, sur la commode comme souvenir précieux. "
Nous nous en retournions. L'air de la nuit printanière, riche en parfums, soufflait encore autour de nous, et nous étions plein d'étonnement de la manière dont cette force de joie de vivre authentiquement alsacienne s'était maintenue ici à travers les siècles. En causant, nous continuâmes notre chemin. Et la lune plongeait, pleine de secrets, vers la toute proche et sombre pinède (3).
Note du traducteur :
(1) La fête du village, appelée Kilbe dans le Haut-Rhin.
(2) Brumbass signifie bien bourdon, mais on peut raisonnablement penser que l'auteur veut parler de la contrebasse à archet qui accompagnait habituellement violons et clarinettes. Les alsaciens désignaient d'ailleurs cet instrument de plusieurs manières : Kontrabass, Bassgigg et même Hienerstall (poulailler).
(3) Je ne pouvais quand même pas vous priver entièrement des envolées lyriques évoquées plus haut.