Dernières Nouvelles d'Alsace
le 13/08/2010
Mooslargue / Mattagumber
En toute(s) intimité(s)
Avec leur nouveau spectacle « Intimités, à livres ouverts », il est évident que les Mattagumber de Mooslargue vont une nouvelle fois gâter le public. A vrai dire, on n'en attendait pas moins d'eux.
Car ils avaient fait fort, très fort, les Mattagumber l'an passé avec leur Gargantua, spectacle à la mesure du personnage, c'est-à-dire énorme ! Drôle, gaillard, comportant juste ce qu'il faut de rusticité pour être truculent sans jamais verser dans la vulgarité, éminemment littéraire et pertinent, philosophique et poétique, bougrement inventif en associant ce que ces sauterelles savent faire de musiques, danses, théâtre et un peu plus encore avec de la vidéo, cet « ovni » avait alors attiré chaque soir davantage de monde, environ 1200 en quatre représentations, dépassant de loin les places initialement prévues.
Créativité !
Alors pour avoir placé la barre si haut et avoir récolté un mérité succès d'estime, les Mattagumber étaient un peu attendus au tournant. Conscients, ils ne s'en embarrassent pas : ils font par plaisir, par envie, sans chercher à se prendre au sérieux ni à prouver quoi que ce soit comme en témoignent les créations enchaînées depuis sept ans. Dont ressort un remarquable souci de diversité ! Dans les lieux, déjà, la troupe ayant joué au château de Ferrette, dans une grange, un verger, ou l'arrière de la salle communale. Dans ses choix artistiques surtout, en ayant toujours concrétisé avec bonheur de belles et audacieuses idées à l'image de Gilgamesh, de La Nef des fous, des Chants d'honneur, de L'Oiseau de feu... Au regard d'une telle carte de visite, le Don Quichotte envisagé un temps promettait une huitième création détonnante. Diverses indisponibilités ont obligé la troupe à prendre un autre cap et remettre l'oeuvre de Cervantès à un lendemain qui chantera forcément.Avec le recul, ce n'est peut-être pas plus mal. « Avec Don Quichotte, nous aurions finalement pris le risque d'être trop proches de Gargantua, voire d'en faire une copie », résume Mathieu Lavarenne, membre éminent de ces joyeux drilles présidés par Suzanne Kallmeyer. Copier : rien d'intéressant pour des Mattagumber estimant que des contraintes (à condition bien sûr de n'en avoir pas trop sous peine d'obtenir l'exact effet inverse) peut naître la créativité. Chorégraphe de la troupe, Sébastien Chabouté suggérera l'intimité...
Un savoureux paradoxe
Complété par Mathieu Lavarenne et Henri Fritsch, le triumvirat entend monter l'affaire. Et la montrer. « C'est un amusant paradoxe de prendre l'intimité pour thème d'un spectacle qui, par définition, donne à voir et est exhibitionniste », souligne Mathieu Lavarenne, bien décidé à jouer de cette ambiguité. Dès en amont des représentations puisque le spectacle dispose, sur la toile, d'une page sur le réseau social « facebook », sorte de journal intime visible par le plus grand nombre ! Outre de mettre Mooslargue à la page, c'est un clin d'oeil parmi d'autres et une manière de titiller cette pseudo intimité rimant avec le grand déballage auxquels bon nombre se livrent.Si Intimités a pour ambition de contrebalancer la profusion explosive et l'exubérance de Gargantua, pas question pour les Mattagumber de se mettre à la diète. Pour la première fois investie par eux de la sorte, la salle communale de Mooslargue est ainsi transformée de manière surprenante du sol au plafond en un raffiné théâtre aux tentures noires d'où se détache un écran blanc. C'est là que seront projetées quelques photographies, en noir et blanc, soulignant le propos tout en dévoilant un aspect totalement inconnu de Jean-Paul Girard, où le paysagiste se fait portraitiste dans un travail intimiste de photographe de corps de tous âges. En noir et blanc ? Comme l'ensemble des costumes et éléments de décor, pour marquer le « yin et le yang », pour mieux trancher encore avec la débauche polychrome qui caractérisait Gargantua. Seules les couvertures des livres seront en couleur. Afin de valoriser cet objet si particulier, souvent compagnon d'ailleurs de l'intimité. « Tout est basé sur le livre », poursuit Mathieu Lavarenne.
De Sénèque à Daniel Guichard
De la bibliothèque sur scène sortiront ainsi poésie et pensées, lettres et journaux intimes d'auteurs à même de dessiner la personne humaine au coeur du propos. On la suit comme un saumon remonte à la source, de la mort à la naissance, du requiem à la berceuse. Une vie à l'envers pour mieux en comprendre le sens, les Mattagumber ayant fait appel aux pères de l'Eglise, tels Saint-Augustin et Grégoire de Naziance, mais aussi Baudelaire, Prévert, Raymond Devos, Sénèque, Flaubert, Toulouse Lautrec, Romain Gary, Salvador Dali, Pierre Louys ou encore Jacques Gaillard. « Des textes réduits comme des champignons à la poêle » selon Mathieu Lavarenne, mais dont on peut être certain que le goût et la substance en ont été gardés, qu'ils soient plein de sagesse, de tendresse, d'amour, d'introspection ou de critique. A travers les époques et les styles, la même interrogation sur le « soi », qu'accompagne, évidemment, la bande son entonnée par les 25 comédiens, chanteurs, danseurs et musiciens de la troupe mooslarguoise dont le registre entame Purcell, des traditionnels yiddish et séfarades, Daniel Guichard, Bourvil, Il était unefois, Renaud, Brel, Brassens ou les Frères Jacques. Une association qui dérouterait, inquiéterait peut-être, si on ne connaissait l'aptitude des Mattagumber à jongler avec les répertoires pour composer de savants melting-pots !Intimité n'est pas synonyme d'austérité. Surtout lorsqu'elle est au pluriel : impossible avec ce thème de ne pas parler des parties intimes lors de tranches de grivoiseries venant napper la spiritualité du spectacle où le public entendra ainsi une diatribe sur le « slip kangourou » ou assistera à un Tango des exhibitionnistes spécialement conçu par Sébastien Chabouté. Ça promet !
Nicolas Lehr
Jeudi 19, vendredi 20 et samedi 21 août à 21h, à la salle communale de Mooslargue. Entrée libre. Renseignements : Tél: 06 88 76 07 00.
Cliquez pour agrandir :