Le spectacle comme une aventure
Derrière ses petites lunettes rondes presque trop sages et ses apparences d'intellectuel plutôt rangé et pas franchement fâché avec la société de ses contemporains, se dissimule en réalité un jeune homme passionné des belles lettres, de musique et qui a trouvé dans le théâtre un espace à la mesure de ses rêves les plus fous. Une certitude : Mathieu Lavarenne n'a pas fini d'épater son monde.
« La vie n'est-elle pas une embardée ! », s'exclame Matthieu alors que nous bavardions l'autre soir, et avant une ultime répétition d'"Intimités", de ses "intimités" à lui précisément. Et de son goût revendiqué pour l'impromptu. Témoignage et "symptôme" fondateur en quelque sorte : à la fin de son parcours lycéen, Mathieu prit tout le monde au dépourvu en décidant de passer un bac philo, alors que la voie "royale" d'une carrière scientifique lui était promise. Ce fut sa première embardée ; de celles qui comptent dans un CV. Ce ne sera pas la seule. Il confesse volontiers et avec ce zeste d'humour dont il aime agrémenter son récit - une manière de mettre sa vraie personnalité à l'abri ? - que ce souci du "contre-pied" vire presque « à l'obsession ».
Très cartésien
Mais il ne perd pas pour autant de vue l'essentiel, « à savoir que chaque événement, chaque expérience (sur scène et en-dehors) est l'occasion de rebondir ; de changer de cap ; d'oser une nouvelle aventure intellectuelle ou artistique ». Mathieu Lavarenne, et c'est aussi son ressort profond, son adrénaline à lui, adore se laisser surprendre par des rencontres. Non qu'il succomberait à quelque frivolité coupable - et source de "désordre". Mais parce que toutes ces rencontres sont pour lui l'occasion d'étoffer son répertoire personnel. Dans une sorte de recherche qui a tout l'air d'une quête épicurienne. Il y a certes trace chez lui de cette "légèreté" dont parle Kundera. « Rassurez-vous, Mathieu a les pieds sur terre », glisse Suzanne, sa maman et responsable des "Mattagumper", qui entre-temps a pris place discrètement à nos côtés. « Je suis très, très cartésien, en effet », confirme Mathieu pour évacuer une fois pour toute le cliché du romantique échevelé, submergé par ses désirs d'utopie.
Affinités politiques
Cette "foi" dans la raison qui immunise contre le "sentimentalisme" exacerbé explique sans doute le penchant de Mathieu pour la politique. Il n'en est certes qu'au stade de l'ébauche à cet égard. Aux premières incursions dans le suffrage universel. Dont l'une, réussie, qui lui vaut d'être conseiller municipal de Moos depuis 2008. Pour ce qui est de ses engagement fondamentaux et sa philosophie politique, Mathieu se reconnaît quelques affinités avec ce que l'on appelait autrefois les "gaullistes de gauche". On le sait proche des "souverainistes" de Chevènement. En tout cas, il a des convictions bien tranchées sur la société française et « la démission progressive de l'Etat face à la dictature du tout libéralisme économique ».Comme tous les jeunes gens qui se respectent, Mathieu est passé par la phase "révolte" du rock dur. Du rock sans concession. Effronté et brutal. Mais les circonstances (nous y voilà !) l'ont très rapidement conduit à s'installer (se réfugier ?) dans l'univers plus paisible et un tantinet "kitsch" des "arts et traditions populaires" célébrées par les "Mattagumper" de Mooslargue. Lesquels déroulaient alors leurs premières ritournelles sur la scène sundgauvienne.
Heureux en folklore
En ce qui le concerne, Mathieu Lavarenne n'a pas de problème existentiel avec ce folklore et sa "geste" paysanne passéiste que l'intelligentsia considère pourtant avec une certaine condescendance. Il s'y sent même résolument à l'aise. « Heureux tout simplement de faire revivre les us et coutumes du terroir ». Et d'apporter ainsi sa modeste contribution à une identité sundgauvienne qui allait en se désagrégeant. C'est à cette occasion qu'il côtoie Daniel Besserer et Gilles Péquignot, musiciens professionnels demeurant à Mooslargue et qui venaient de créer "Au gré des vents". Mathieu intègre le groupe (il y restera 9 ans) et se passionne désormais pour une musique "folk" synonyme de colorations musicales différentes, d'autres vibrations. Les bals succèdent au bal à Courtavon. Mathieu se laisse happer par le tourbillon de la fête.
2003 : le début de l'épopée
Mais il n'est jamais très loin des "Mattagumper" et leurs humeurs vagabondes. C'est alors palpable : le protocole trop fade des "arts et traditions" leur pèse chaque jour davantage. Au point qu'ils n'hésiteraient pas à déserter les podiums des fêtes des rues pour d'autres aventures plus excitantes L'opportunité se présentera en 2003. Le chorégraphe du groupe Sébastien Chabouté leur propose de participer à une création au château de Ferrette. "Tag un Nacht" ; ce sera son titre. La mise en scène est confiée à une figure légendaire des arts de "par chez nous", on veut bien entendu parler de l'émérite instituteur de Jettingen, Henri Fritsch. "Tag un Nacht" connaît le succès. Ce sera le point de départ d'une épopée qui se prolongera jusqu'à aujourd'hui et qui sera jalonnée par nombre de spectacles véritablement épatants. Depuis lors, les "Mattagumper" occupent une place singulière dans le décor parfois trop monochrome du théâtre populaire sundgauvien. Singulière en effet par le désir du groupe de vouloir aborder tous les registres de la comédie ; de la farce au drame en passant par le conte. Et ce, non sans malice et en tout cas avec cette générosité qui, 10 ans après les débuts sur les planches, ne semble pas devoir s'altérer. A sa manière, et sans s'embarrasser outre mesure de l'onction des institutions culturelles, Mooslargue témoigne d'une évidence qu'il n'est pas vain de rappeler : le théâtre amateur n'a pas forcément vocation à se vautrer dans la vulgarité ou à succomber à la facilité. « Au contraire, le théâtre amateur se doit de cultiver l'exigence ; qu'il s'agisse du choix des textes ou de l'interprétation scénique », proclame Mathieu Lavarenne.Vous pouvez faire confiance à Henri, Mathieu et Sebastien : les "Mattagumper" ont trop le souci de la convivialité et de la simplicité pour songer à railler ce qui se fait dans le voisinage. Au passage, et dans ce contexte, Mathieu croit néanmoins utile de préciser qu'il « n'a absolument rien contre le théâtre alsacien et l'alsacien tout court d'ailleurs », histoire sans doute de rassurer les régionalistes ombrageux qui le suspecteraient de "francitude" aiguë...
La conscience populaire
En tout cas Mathieu Lavarenne n'entend pas se fourvoyer dans ce débat sur le dialecte. Dommage d'un certain côté..., car cela aurait peut être donné lieu à quelques querelles plaisantes et à quelques digressions sacrilèges. Ce qui importe davantage au « fou de littérature » qu'il est - et qui confie dévorer une quantité impressionnante d'ouvrages -, c'est de voir que ses copains des "Mattagumper "ont totalement adhéré à l'idée qu'il se fait du théâtre et, plus vital encore, à son imaginaire foisonnant. En témoignent deux de ses adaptations qui auront le plus marqué les esprits : la légende de "Gilgamesch" et ce fameux "Gargantua" présenté l'an dernier et dont la critique - unanime ! - salua la verve et la truculence. Incontestablement, l'écriture théâtrale réussit bien à Mathieu. Le public aura découvert un auteur aussi adroit dans la fiction que sacrément "gaillard" dans le genre burlesque.Les "Mattagumper" n'ont vraiment aucun souci à se faire pour le futur. Des idées de spectacle, Mathieu en a plein la tête. Dont et pour ce qui est de l'immédiat, l'adaptation déjà dans les cartons de "Don Quichotte", adaptation prévue pour cet été, mais qui sera finalement présentée l'an prochain. « Gargantua ou Don Quichotte, ce sont des figures qui parlent à la conscience populaire », souligne M. Lavarenne. Au-delà, il aurait bien envie de monter une comédie grecque...Ce week-end, les "Mattagumper" vous convient à "partager" les secrets "intimes" d'écrivains célèbres. Drôle de paradoxe, en effet !
F. Dangel
"Intimités" à partager...
"Intimités à livres ouverts" : c'est donc le spectacle que nous proposent en cette fin de semaine les "Mattagumper" de Mooslargue. Ces jours-ci, Mathieu Lavarenne, qui a signé l'adaptation, Henri Fritsch et Sébastien Chabouté, qui régentent l'ordonnancement des "choses" et des "êtres", mettaient la dernière touche à la pièce. Ou plutôt à ce qui se présente comme une série de textes et de confessions diverses sur le "moi" ou le "sur moi". Rassurez-vous, on ne va pas vous infliger une austère séance d'introspection et vous inviter à suivre une thérapie pour âmes en déroute (encore que, en y réfléchissant bien...). Non, le propos est plus agréable et franchement divertissant. Avec des textes qui vont de la douce ironie ou de l'humour au 2e degré à des diatribes ébouriffantes et libertines en passant par des instants de pure poésie. Esthétiquement, c'est très réussi avec de grandes teintures noires pour solenniser l'événement...Au programme, une gamme d'auteurs, tous prometteurs de belles réjouissances littéraires : Baudelaire, Prévert, J. Gaillard, Flaubert ou encore un surprenant saint Augustin qui "offre" ses tourments en public... et au divin. Pour le chant, des airs Yiddish, des chansons de Brel ou de Purcell viennent souligner la dramaturgie du récit.
Ces "intimités" mooslarguoises sont assurément une audace de plus dans le répertoire déjà étoffé des "Mattagumper". Une audace que le public se doit d'honorer. Car interpréter des textes de cette qualité n'est pas un exercice facile pour des comédiens amateurs. Ils demandent sincérité et probité. De cette probité et de cette sincérité, les "Muttagumper" n'en manquent pas.
F. Dangel
Jeudi 19, vendredi 20 et samedi 21 août 2010 à 21 h, à la salle communale de Mooslargue. Entrée libre. Renseignements : 06 88 76 07 00.
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